La Tunisie est le premier pays - et pourrait bien demeurer le seul. Où que l’on se tourne au Moyen Orient et en Afrique du Nord, les choses semblent moins claires, et moins accomplies. En Egypte, l’armée est toujours aux commandes ; malgré les élections à venir, ce à quoi nous assistons ressemble chaque jour davantage à un coup d’Etat militaire. Des officiels américains ont évoqué cette possibilité au mois de février lorsque Moubarak quitta le pouvoir ; ils semblent qu’ils avaient raison. Les Américains ont peut-être bien laissé tomber Moubarak, mais ils n’ont jamais été bien loin des officiers et de leur nouveau pouvoir. Le peuple rassemblé sur la place Tahrir appelait à davantage de justice et de liberté. Moubarak est parti alors que le régime militaire commençait à montrer des signes de faiblesse. Dix mois plus tard, il est loin d’être renversé. Le pays est sous contrôle et le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) a la main mise sur le destin de l’Egypte. L’influence et la présence américaines s’avèrent décisives. Même si, à la fin du processus, un civil tel que Mohammed el Baradei pouvait être élu, l’appareil militaire ne permettrait jamais au régime d’aller trop loin dans le sens de la transparence, de la liberté et de la démocratie (essayez donc d’imaginer où l’Armée se tiendrait au sein de la nouvelle structure politique !). Il n’y a pas eu de révolution en Egypte.
Le Conseil National de Transition en Libye a annoncé qu’il établirait la “charia” et accepterait la “polygamie”, comme s’il s’agissait de dire au peuple libyen que le pays sera affranchi de l’influence occidentale. Pourtant, en coulisses, après l’intervention de l’OTAN, ce qui passe pour être de l’autonomie relève davantage de la théorie que de la réalité. L’économie, ainsi que les relations géostratégiques du pays avec les États-Unis et l’Europe sont un secret de Polichinelle. Kadhafi est mort, pourtant le pays est loin d’être libre : une démocratie contrôlée vaut mieux qu’une dictature, nous dit-on ; n’empêche qu’elle demeure une démocratie sous contrôle (étranger).
Les événements semblent suivre le même cours en Syrie, au Yémen et même au Bahrein. Chaque pays a ses particularités, ils partagent pourtant le même sort. Les mouvements populaires disent “ça suffit” aux dictateurs, mais la dynamique a été réorientée et l’équilibre des pouvoirs s’est déplacé. Il ne suffit pas de répéter que le bel avenir ne ressemblera en rien à l’odieux passé : car enfin, se contenter de reconnaître la fin des dictateurs n’est point une raison suffisante au bonheur. La question essentielle concerne la véritable autonomie politique et la vraie liberté dans les pays respectifs. Alors que nous analysons les événements qui se déroulent sous nos yeux, une question légitime nous vient naturellement à l’esprit : à qui profiteront les soulèvements arabes ?
L’expérience tunisienne joue désormais comme une référence ; personne ne peut nier l’évolution démocratique qui a en fait amené les “islamistes modérés” au pouvoir. Mais l’exemple tunisien pourrait être bien plus qu’un espoir, un exemple trompeur, un écran déformant. Le “printemps” tunisien pourrait nous empêcher d’analyser lucidement la situation dans d’autres pays. Nous observons le "printemps arabe" comme s’il s’agissait d’un mouvement, mû par un effet domino. Peut-être devrions nous le considérer davantage comme un jeu d’échecs. Alors que l’on avance - et maîtrise -, ici, son pion, son cavalier ou encore son fou pour contrer les pouvoirs politiques et économiques dominants, on pourrait avoir l’impression d’aller vers la victoire. Mais les centres stratégiques du jeu entier, centré sur le roi et la reine, sont, là, sous étroit contrôle. La victoire émotionnelle temporaire - et locale - pourrait, à long terme, se transformer en échec, en une révolution avortée.""
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