En raison du déséquilibre dans le flux de l’information et les moyens de communication (qu’Internet n’a pas encore dissipé hélas), il y a des interprétations que l’on entend beaucoup plus que d’autres. Ces lectures dominantes des transformations du monde ne sont pas forcément les plus pertinentes mais elles s’imposent parce qu’elles sont les plus bruyantes. Cependant, elles n’arrivent pas à faire taire les autres visions sur ce même monde.
Les discours pan africanistes et indigénistes ( des populations autochtones) font partie de ces contre-récits qui offrent des analyses alternatives sur la formation du monde moderne et la destinée des peuples dans le nouveau contexte international.
Malgré la divergence des points de vue entre les porte-paroles de ces différentes aires géopolitiques et blocs d’intérêt, un certain consensus émerge sur certains points concernant l’état actuel de notre monde :
Le fait que le modèle de développement qui s’est mondialisé n’est plus durable et met l’humanité et la planète en péril
Le fait que le système dominant est entré dans une sorte d’emballement, d’accélération, bref dans un cercle vicieux que plus personne n’arrive à contrôler réellement , pas même ceux qui l’ont mis en place et qui l’ont imposé au monde ;
Le fait que les concepts, paradigmes, et présupposés philosophiques, politiques et économiques qui ont fondé ce système sont en crise et soulèvent des sérieux doutes sur leur universalité et des questionnements sur leur bénéfices pour tous les peuples
Le fait que l’échange inégal et l’aggravation des disparités deviennent de plus en plus inacceptables à des populations qui sont de plus en plus éduqués, informés et conscients des manipulations orchestrées par ceux que cette situation arrange
Le fait que, d’un côté l’universalité des droits humains est de plus en plus revendiquée et que de l’autre côté, le discours humaniste occidental est de plus en plus remis en cause et ramené à son provincialisme européen.
C’est dans ce contexte de remise en question et contestation généralisée que les peuples africains et les afro-descendants souhaitent faire entendre leur voix. Les « damnés de la terre » pour reprendre une expression de Frantz Fanon, qui ont le plus souffert de ce système et qui ont été les moins audibles, veulent aujourd’hui faire prévaloir leur point de vue. Ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas été entendus qu’ils se sont tus.
Un Afro-optimisme à mesurer
La crise globale du système leur offre aujourd’hui une occasion inespérée d’affirmer leurs cosmovisions et leurs projets de société. Mieux, l’afro-pessimisme qui pendant des décennies avaient discrédités et abaissé l’Afrique a fait place aujourd’hui à un afro-optimisme promoteur. Certes les Unes des journaux occidentaux sur le « réveil », « le retour » ou l »l’émergence » de l’Afrique ne doit pas trop faire illusion. Cette appréciation procède du même paternalisme qui autorisait certains observateurs étrangers à parler pour l’Afrique, au nom de l’Afrique et même à la place des Africains ce qui avait fait dire à Nelson Mandela que « ce qui se fait pour nous mais sans nous, se fait contre nous ». Ce nouveau discours sur l’Afrique est à verser à « la Bibliothèque coloniale » qui renferme des sicles de divagations, de digressions et de diffamations sur les personnes d’ascendance africaine.
Cependant, l’Afro-optimisme véhiculé par les médias a au moins le mérite de créer un nouveau état d’esprit propice au repositionnement de l’Afrique. C’est qui est nouveau, c’est que cette « émergence » de l’Afrique intervient à un moment où les ex-puissances coloniales subissent les effets pervers de leur propre système. Ce regain d’ intérêt pour le continent intervient aussi à un moment où des pays ayant une importante diaspora africaine, tel que le brésil, la Colombie, le Venezuela, l’Equateur, souhaitent établir des relations directes avec l’Afrique sans l’intermédiaire et la médiation des ex-pays colonialistes. Enfin, ce retour de l’Afrique se manifeste au moment où les Etats africains recherchent à diversifier leurs échanges avec d’autres régions du monde (l’Asie, l’Amérique du sud, les Caraïbes)
Tous ces nouveaux éléments sont à même de redonner espoir aux peuples africains et afro-descendants mais ils ne devraient pas tomber dans la même auto-satisfaction et naïveté que celles provoquées par les indépendances.
Certes, l’Afrique remonte la pente après des décennies d’ajustement structurel et des dictas de ses donateurs mais elle est encore loin d’avoir rompu avec les liens de subordination et de dépendances qui perpétuent encore la « colonialité », l’intériorisation des représentations coloniales.
Certes, elle est courtisée par les médias, les pays émergents et les investisseurs privés, mais elle est encore vulnérable aux appétits du capitalisme mondialisé à la recherche des dernières frontières à conquérir. Certes l'Afrique commence à œuvrer pour son intégration régionale mais ses dirigeants sont encore trop soumis aux injonctions et aux intérêts extérieurs et ne prennent pas la mesure des défis à relever. Ils continuent à livrer les richesses aussi bien naturelles que humaines de leur pays à l'appétit des puissantes étrangères, perpétuant ainsi les mêmes rapports de domination et d'extorsion hérités de la traite négrière, de l'esclavage et de la colonisation.
Toutes ces réserves et cet optimisme mesuré sont nécessaires pour ne pas succomber aux appels des nouvelles sirènes qui veulent nous attirer vers d'autres récifs. Mais est plus que propice aujourd'hui pour reposer la question de la renaissance africaine et du pan africanisme et nous interroger sur les conditions et les chances de leur réalisation effective. Le renouvèlement de la confiance de l’Afrique en elle-même intervient au milieu d’une crise économique en Europe et à un moment où les peuples africains ressentent plus forts la nécessité de fonder l’union africaine sur des nouvelles bases. Le message adressé de la présidente de a Commission de l’Union africaine (UA)est éloquent à ce titre « Au moment où nous célébrons le 50eme anniversaire de notre organisation, dit-elle, nous devons courageusement rappeler et répéter que l’heure de l’Afrique est venue, que sommes à l’aube de son accomplissement, à un moment où l’Afrique doit se saisir de son destin… » Pour que cette aube nouvelle débouche sur un matin radieux, il y a encore beaucoup de brouillard à traverser dignement.
Les défis à relever
Les défis et les menaces auxquelles l'Afrique est confrontée sont énormes mais les atouts et les opportunités dont elle dispose ne sont non plus négligeables
Le premier défi est celui de l’unité politique et de l’intégration économique régionale. Les récentes interventions militaires en Afrique, les injonctions adressées à des Etats affaiblis et la marginalisation de l’UA dans le règlement des conflits pourtant africains, rendent plus que jamais urgente une unité politique forte pour imposer la voix de l’Afrique. Cette unité implique une marche accélérée vers la création de confédérations d’Etats africains qui puisse permettre d’établir un agenda politique commun et contraignant sur un ensemble de questions cruciales pour le continent afin de les prémunir contre les intimidations et les diktats des puissances étrangères.
Le vieux rêve des Etats unis d’Afrique n’ a jamais été aussi nécessaire. Chaque fois que l’Afrique a fait front commun sur des grandes questions (comme la décolonisation, la lutte contre l’apartheid, et récemment contre le nouveau partenariat proposé par l’Union européenne ou contre le décisions du Tribunal pénal international), elle a été écoutée et respectée.
Aujourd’hui, l’Afrique a des alliés de détail dans d’autres régions du monde qui pourraient la soutenir dans certaines prises de position : l’Amérique du sud , l’Asie, les Caraïbes.
Cette nouvelle unité politique doit se construire sur nouveaux principes et paradigmes. Elle doit être basée sur un pacte démocratique avec les peuples africains d’une part et un pacte de solidarité avec les diasporas africaines d’autre part.
Les modes d’organisation fédérales qui ont été inventés par les grands empires africaine doivent être revisités pout trouver des solutions endogènes à la problématique de l’unité dans la diversité Mes modèles d’une organisation décentralisée mais soudée autour de certaines valeurs communes que notre continent à produit ne me semblent pas été suffisamment explorées et exploitées.
Il est temps d’interroger le modèle de l’Etat-nation hérité de l’Europe qui port en lui les germes des conflits car il est issue d’une histoire tourmentée marquée par des terribles guerres dont les deux guerres dites mondiales.
Cette unité politique n’aurait pas de sens sans une intégration à tous les niveaux qui impliquent les sociétés, les peuples et les communautés de base. Elle devrait etre accompagnée par une intégration des systèmes éducatifs pour faciliter l’enseignement des héritages communs et notamment une perspective pan africaine de l’histoire des peuples africains et afro-descendants, libérées des nationalismes et des chauvinismes.
Contrairement à d’autres régions du monde, cette unité politique de l’Afrique sera facilité par la mémoire collective issue des expériences de la traite négrière, de l’esclavage et de la colonisation qui ont forgé un sentiment de communauté de destins entre les peuples africains et afro-descendants.
Le second défi de l’Afrique et du pan africanisme, c’est à mon sens celui de fonder un modèle endogène de développement basé= sur les valeurs culturelles et les expériences historiques de l’Afrique et de ses diasporas. Ce modèle doit tout d’abord rompre avec la pensée libérale et néolibérale qui a été imposée à l’Afrique à travers les programmes d’ajustement structurel et le chantage à l’aide au développement. Cette pensée libérale basée sur des valeurs de compétition entre les êtres humains, de domination de la nature et de progrès illimitée, avec comme finalité le profit matériel et individuel, a montré ses limites mais aussi sa nocivité
L’Afrique doit rompre avec le darwinisme social qui amène à justifier les inégalités par le déterminisme racial ou social. Notre continent est le foyer de philosophies qui ont introduit des humanismes reposant sur l’interdépendance entre d’une part les êtres humains et d’autre part ces derniers et la nature. Les cosmogonies et les vivre ensemble tels que l’Ubuntu, La Charte de Mandé, Le Xeer préconisent des systèmes d’organisation c=sociale et politique et des relations humaines qui sont à l’opposé des systèmes de prédation imposés par le capitalisme.
En effectuant cet ressourcement et cette revitalisation de son humanisme, l’Afrique pourrait se construire un cadre éthique et politiques adaptés à ses aspirations. Ce faisant, elle pourrait même offrir au reste du monde des alternatives démontrant que le capitalisme et ses avatars que sont le néolibéralisme, la démocratie de marché et le consumérisme, ne sont pas une fatalité. L’Afrique joindrait ainsi sa voix à celle des peuples autochtones et afro-descendants pour prouver qu’il y a un autre horizon pour l’humanité que le matérialisme effréné qui saccage la planète.
Le troisième défi de l’Afrique est celui des nouvelles relations à établir avec ses diasporas. Jusqu’à présent, il faut le reconnaitre, c’est l’Afrique qui a le plus bénéficié des apports de sa diaspora. Le Pan africanisme lui-même est une invention de la diaspora qui fut le fer de lance du combat contre l’esclavage, le racisme et le colonialisme.
Certes, les cultures et valeurs africaines ont été la source d’inspiration qui a donné aux afro-descendants leur force de résistance, de résilience et de créativité dans leur lutte contre la déshumanisation de l’esclavage et du ségrégationnisme. Mais l’Afrique postcoloniale, à part quelques exceptions, n’a pas su offrir un exemple d’espoir et un motif de fierté suffisant à ses diasporas qui ont tant besoin pour se réclamer de leur terre d’origine..
Le temps est venu de renouer autrement avec ces diasporas éparpillées non seulement dans les monde atlantique mais aussi dans l’Océan indien et le Pacifique, et autour de la Mer Rouge et de la Méditerranée. Le temps est venu de mettre en place de nouvelles solidarités qui vont au delà de rhétorique sur la communauté de destin. Il faut mettre en pratique enfin cette proposition de faire de la diaspora africaine la 6eme région de l’Afrique et qui n’a pas encore dépassé le stade de concept et de vœu pieux.
Le dernier défi de l’Afrique, c’est d’établir des nouveaux partenariats avec les pays émergents, notamment la Chine, le Brésil, l’Inde et la Turquie. Un partenariat qui rompt à jamais avec les systèmes de dépendances, d’assujettissement et d’aliénation qui a caractérisé ses liens avec l’Occident. Et qui doit reposer sur des nouvelles obligations mutuelles, des nouvelles solidarités pour un bénéfice partagé. Ce partenariat ne doit pas reposer encore sur l’économie d’extraction ou le commerce mais doit s’étendre à tous les domaines et notamment à celui de la culture et de l’éducation. Il ne doit surtout pas se satisfaire des discours lénifiants prononcés lors des grandes messes comme les Sommets Chine-Afrique, Inde-Afrique, Turquie-Afrique etc
Les menaces à conjurer
Les défis sont énormes à la mesure des menaces que l’Afrique devra conjurer.
Ses énormes richesses naturelles et surtout ses ressources stratégiques continuent à entretenir la convoitise. Le continent détient de 60 à 80 % des principaux métaux et minerais dont les nouvelles technologies ont besoin. Cette convoitise entraine la militarisation de l’Afrique devenue le champ de bataille et d’expérimentation des grandes armées du monde. Rien que Djibouti voit se côtoyer sur ses cotes, dans ses restaurants et dans ses hôtels les galonnés de toutes les puissances du moment venus défendre leurs parts de géopolitique. La lutte contre le terrorisme mondial leur fournît un prétexte en or pour se pérenniser sur le sol africain en jouant aux sauveurs des régimes qui seraient menacés par la méchante nébuleuse d’Al Qaida. Le Sahel, la Somalie, le Congo démocratique, le Soudan, sont devenus des terrain d’opération pour se jouent souvent en dehors des intérêts des peuples africains. Et comme par hasard, ces pays sont aussi des grands réservoirs de ressources naturelles et stratégiques .
Une dernière menace que l’on ne soulignera jamais assez, c’est la mauvaise gouvernance et l’aggravation des inégalités en raison de l’accaparement des ressources nationales par des élites corrompues, voraces et si peu nationalistes. Si l’Afrique n’arrive pas à gérer mieux la répartition de ses ressources et n’instaure un partage équitable, elle court le risque de crises profondes. Ce que l’on appelle paresseusement conflits ethniques ou tribales ne sont en générale que des confrontations résultant de cette monopolisation des ressources des pays par une ploutocratie alliée aux intérêts extérieurs. Ces conflits ouvrent souvent la porte à des interventions extérieures qui imposent des nouveaux diktats aux Etats affaiblis par ces crises.
Des atouts à saisir
Je voudrais terminer avec une note optimiste en rappelant les atouts de l’Afrique. Ces sont d’abord ses gigantesques ressource naturelles et humaines, c’est sa jeunesse dynamique, exigeante et si impatiente de changement. Ce sont des espaces immenses et diversifiés qui ne sont pas encore détruits et pollués par les poisons du développement, sur lesquels on peut tenter des expériences écologiques Mais surtout, l’Afrique a des ressources culturelles immenses qui n’ont pas encore été explorées et exploitées pour élaborer des modèles endogènes pour l’agriculture, la gestion des eaux, l’exercice démocratique du pouvoir et de reconnexion avec la nature et l’univers. Ces ressource culturelles contiennent tous les ingrédients pour créer et inventer un «modernité africaine » en phase avec l’humanité toute entière.
C’est en relevant ces défis, en se préparant à ces menaces, en mieux saisissant les opportunités offertes par la crise du système dominant et en s’alliant avec ses diasporas et avec les pays émergents, que l’Afrique pourra assurer sa renaissance et fonder un pan africanisme du XXIème siècle.
Ali Moussa Iye
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