Une contribution de David Gakunzi
"" Car il est des silences coupables, plus assassins qu’aucune parole, qu’aucune arme peut-être. Car il est des silences complices dont le nombre fait la force, et la force la loi. Celle des majorités silencieuses qui sert de caution et d’alibi aux crimes contre l’humanité. "" – Martin Niemöeller
Il sera dit un jour que l’obscur Alassane Ouattara fut un homme qui a versé beaucoup de sang ivoirien. Il sera dit un jour que cet homme était en contrat, en alliance, et ce, depuis ses débuts, avec les pires ennemis de l’Afrique, les mitrailleurs et les renifleurs aux griffes de feu, les fauves renifleurs et avaleurs d’or et de diamant, de cuivre et d’uranium, de cacao et de café, de coton et de pétrole…
Il sera dit un jour qu’il y avait dans ce Ouattara-là une résonnance de ces hommes qui se battent non pas pour le triomphe d’un quelconque héroïque et majestueux principe, mais pour autre chose ; tout à fait autre chose.
Ouattara. L’homme n’a manifestement ni vision, ni charisme, ni épaisseur ; pis, lorsqu’il parle des Ivoiriens, on ne sent, dans sa voix monocorde de bureaucrate de la bourse mondiale, nulle présence de celui qui veut unir le passé, le présent et l’avenir. Impossible unité, impossible liaison donc de cet homme avec cette terre, avec ce peuple de Côte d’Ivoire. On ne l’imagine pas sur le trône ; et pourtant le voilà Président. Mais comment donc ? A coup de bombes larguées par la France sur Abidjan. Paris débarque, brûle Abidjan, se saisit de Gbagbo et de la fumée des buchers, Ouattara s’élève Président. Ère nouvelle : droit de la force et terreur totale sur la Côte d’Ivoire.
Assassinats, enlèvements, viols, pillages. Simone Gbagbo trainée dans la poussière, martyrisée dans sa féminité ; cruauté innommable : la différence qui sépare l’homme de la bête tout simplement franchie. La mère de Laurent Gbagbo, Mamie Koudou Gbagbo, âgée de 90 ans, arrêtée ; elle aussi ! Arrêtée, séquestrée et malmenée. Désiré Tagro, ancien ministre, assassiné : l’homme négocie la fin des hostilités avec les troupes françaises et se présente un tissu blanc à la main ; à quoi aura-t-il droit ? A une balle plantée dans la bouche. Et Duékoué. Les habitants de Duékoué, génocidés : les hommes, tous les hommes, y compris des gamins de deux ans, alignés massacrés à coup de fusils et de machettes. Et Yopougon, Yop l’insoumise, bombardée, saccagée, pillée, déshabillée, violée, massacrée. Perquisitions cour après cour, parents mis à genou devant leurs enfants ; exécutions sommaires sur indication, chasse aux Guérés et Bétés. Combien de morts ? Combien de corps ramassés par la Croix-rouge ? Combien de corps ? Et le village de Sassandra brulé ; et les villages de Abedem et de Drago rayés de la carte.
Meurtres collectifs, meurtres sélectifs, meurtres génocidaires, épuration ethnique ; rafles et torture instituées en règle de gouvernance. Henri Dacoury Tabley, l’ancien gouverneur de la BCEA0, arrêté, tabassé, torturé ; son corps exposé nu, nié dans son humanité, l’enfer total, enfer filmé ; Affi N’guessan, secrétaire général du FPI et tous ceux qui refusent la soumission, kidnappés, séquestrés, embastillés, frappés, torturés, bestialisés ; les militants de l’opposition traqués, traqués listes à la main, traqués jour et nuit, battues organisées, les militants de l’opposition traqués et assassinés tous les jours ; comme si on voulait rendre impossible tout avenir à l’opposition politique. Echos mussoliniens : « L’opposition n’est pas nécessaire au fonctionnement d’un système politique sain. L’opposition est stupide et superflue dans un régime totalitaire comme le régime fasciste ».
Eliminés donc d’abord les proches de Gbagbo ; éliminés ensuite ses sympathisants ; éliminés encore ceux qui pourraient éventuellement devenir ses sympathisants, tous ceux-là qui ne sont pas en allégeance, qui ont eu l’impudence de ne pas accourir pour embrasser comme il se doit, c’est-à-dire avec fougue et flamme soudaine, le nouveau pouvoir. Eliminés tous ces autres-là qui ne sont ni de l’ethnie ni du parti des vainqueurs. Eliminés pour un oui ou pour un non. Eliminés même les alliés d’hier. Ibrahim Coulibaly, dit IB, abattu. L’homme de tous les mauvais coups depuis plus de dix, le compagnon d’hier, celui qui a ouvert les portes d’Abidjan à Ouattara avec ses commandos invisibles, IB encerclé, sommé de se rendre, torturé puis abattu comme un chien. Dynamique fasciste.
C’est qu’il s’agit de semer la terreur ; c’est qu’il s’agit non seulement de châtier, de faire gémir les ivoiriens d’avoir voulu l’émancipation, mais aussi de faire perdre conscience à la société ivoirienne, de la briser, de la modeler dans la terreur ; c’est qu’il s’agit de ramener les Ivoiriens à la case départ, la case esclave avec des méthodes dignes de la gestapo ; c’est qu’il s’agit de faire comprendre à tous les Africains que la liberté est cause de malheur, de grand malheur et que seule la servitude, que seul l’esclavage est porteur d’avenir !
Ouattara plante donc son trône dans le sang. Un trône mugissant et prompt au sacrifice humain. Les Ivoiriens sont désormais, de nouveau, bons à dévorer. A dévorer avec leur pétrole, avec leur cacao, avec leur café. Alors à Paris, on se tait. Jour après jour, on tue à Abidjan et Paris se tait ; et lorsque la terreur s’incruste jusque dans les corps violés de Yopougon, l’un de ces illustres quotidiens de la place parisienne, toute honte bue, parle de « traitement de Yopougon ». C’est écrit : rayer des humains, c’est les « traiter ». Summum d’inhumanité, insensibilité absolue face aux supplices infligés aux Ivoiriens ; silences.
Silence dans la quasi-totalité de la presse de France. Meurtres collectifs, assassinats politiques et emprisonnements enfermés dans le non advenu, embastillés dans le silence. Ce qui est advenu, ce qui est entrain d’advenir n’est pas advenu ! Silence sur ces familles condamnées à errer dans les forets, sans nourritures, pour fuir l’anéantissement, pour fuir les tueurs de Ouattara ; silence sur Blolequin, ville autrefois habitée par 30 000 personnes, aujourd’hui cité fantôme aux rues désertes ; silence sur ces journalistes et avocats poursuivis, pourchassés comme du gibier à abattre ; silences sur ces cabinets d’avocats brulés ; silence sur ces journalistes et musiciens arrêtés, torturés ; silence sur ces jeunes poursuivis car coupables d’être « nés du mauvais côté », l’Ouest du pays… La Côte d’Ivoire de Ouattara exhale, empeste, pue la mort, les corps sont enfouis dans des conteneurs car les morgues sont débordées, mais … silence dans la presse de l’autoproclamée patrie des Droits de l’Homme. Douleur sans fond des Ivoiriens niée, douleur redoublée par ce déni, ce refus de reconnaissance, cette expulsion dans le non existant, dans le hors langage, dans le « n’ayant pas lieu ».
Mais qu’est donc devenue la presse de France ? A quoi sert cette presse qui n’est plus affirmation de la liberté de tous les hommes et qui n’ose plus nommer par son nom, la terreur concrète contre l’homme, contre les hommes ? Pourquoi ce renoncement ? Pourquoi ? Cette presse-là sait pourtant ; elle sait, elle est bien informée, elle est au courant de la terreur qui règne à Abidjan, elle sait qu’on étouffe à Abidjan, que l’air est devenu tout simplement irrespirable et que fait-elle ? On attend qu’elle s’insurge, qu’elle dénonce au nom de la défense des droits de l’homme mais elle fait l’inverse, le contraire : elle se tait. Elle sait que la Côte d’Ivoire vit sous la terreur mais elle ne parle pas. Pourquoi ? Pour quelles raisons ? Parce que tout simplement lever le voile sur la nature et la barbarie du pouvoir installé à Abidjan, serait nommer les responsabilités de la France et révéler, du coup, au monde et au citoyen lambda, ce que Paris, ce que Sarkozy a fait de la Côte d’Ivoire : une terre brutalisée, torturée, massacrée. Crime d’Etat postcolonial.
Or pourquoi nommer ce crime ? Que vaut le destin, la vie des Ivoiriens face aux intérêts suprêmes de la France ? Pas grand-chose. Mépris cynique et vicieux de la vie humaine. Latitude totale donnée ainsi au pouvoir de Ouattara de torturer et de tuer ! Impunité assurée d’avance pour les tueurs et les tortionnaires de l’homme installé à Abidjan. Et où, oui, où le refus inconditionnel et universel de l’assassinat politique, de l’arbitraire, de la torture, de la dictature, de la férocité de la dictature ? Où ? « L’école française d’Alger » est de retour sur le continent africain ; elle fait des ravages au bord de la lagune Ebrié ; on le sait, et pourtant, silences ; on fait bloc dans le silence autour de l’homme de la France à Abidjan. Rien vu ; rien entendu.
Mais qu’importe. Qu’importe le jour, le mois ou l’année : Ouattara, l’homme de Paris à Abidjan, partira un jour. Il partira. Le temps de Ouattara finira. Il n y a pas d’avenir dans l’histoire de l’Afrique pour ce nom là, Alassane Ouattara ; il n’y a d’autre avenir pour ce nom-là que celui d’un Mobutu et d’un Bokassa, eux- aussi tueurs de leurs propres peuples et morts abandonnés de tous. Ouattara partira un jour, et il sera dit ce jour-là, que cet homme faible qui n’avait de force que venue de Paris ; il sera dit que cet homme de la démesure dans la cruauté, aura planté et porté la violence à son paroxysme au cœur de la société ivoirienne. Il sera dit qu’en un seul mois de règne, il aura arrêté et exécuté plus de monde que durant les quarante ans de règne d’Houphouët-Boigny et de Gbagbo réunis ! Il sera dit et rappelé que s’il a pu ainsi sévir impunément, ce fut en parti, grâce, au silence de ceux qui, à Paris, devaient parler et qui ont refusé d’élever la voix. Il sera rappelé que non, ceux-là ne dormaient pas, qu’ils savaient et que leur silence, chacun de leur silence, fut coupable. Martin Niemöller : « Car il est des silences coupables, plus assassins qu’aucune parole, qu’aucune arme peut-être. Car il est des silences complices dont le nombre fait la force, et la force la loi. Celle des majorités silencieuses qui sert de caution et d’alibi aux crimes contre l’humanité. »
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