Et si on testait les talents de la CPI sur des dirigeants de l'Europe ?
« Une condamnation historique » : c’est ainsi qu’est qualifiée, depuis qu’elle est advenue, la toute première condamnation prononcée par la Cour pénale internationale (CPI), visant l’ancien chef de milice congolais Thomas Lubanga. Nous voilà un chouïa rassurés : ce bidule qui trône à La Haye sert donc à quelque chose. Alléluia.
Ce qui est moins historique en revanche, c’est que ce condamné soit un Africain. Du centrafricain Jean-Pierre Bamba au soudanais Omar-al-Bachir en passant par l’ivoirien Laurent Gbagbo, la CPI semble souffrir d’une obsession afrocentrée. Il ne lui viendrait pas à l’idée, par exemple, de chercher des noises à un Européen.
Pour autant, je vous dispense du traditionnel couplet sur la « Justice à deux vitesses », sur le droit, qui est toujours celui du plus fort, sur vae victis, et tout le toutim. Si nous voulons lire ça, vous et moi n’avons qu’à ouvrir Le Monde Diplomatique : ça ne nous fera pas de mal.
Et puis, on aurait tôt fait de m’objecter que la Cour de la Haye, ainsi que le prévoit le traité de Rome qui l’institue, n’est habilitée à juger que les génocides, les crimes de guerre, et les crimes contre l’humanité. Or on ne peut pas le nier : le crime de guerre est bien plus fréquent dans les pays en guerre.
Prenons le cas de l’Union européenne. Peu de chance qu’un quelconque dirigeant de ce bel et bon agrégat d’entités nationales vaguement consentantes soit un jour déféré devant la Cour pénale internationale pour crime de guerre. Et pour cause : « l’Europe, c’est la paix ».
Quant aux génocides, nous, européens, n’en commettons plus guère. Il faut dire que nous avons eu une mauvaise expérience en la matière. Depuis, on a carrément levé le pied.
Reste à élucider le grand mystère du « crime contre l’humanité ». C’est quoi, « l’humanité » ? Comment y attente-t-on ? Et un crime, ça a quelle tête, exactement ? C’est à partir de quel seuil ? Ca prend en compte quel degré et quelle nature de souffrances ?
En la matière, le droit dit ceci : « un crime contre l’humanité est une violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d’un individu ou d’un groupe d’individus, inspirée par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux ». Saperlotte, voilà qui est fort abstrus ! D’autant que, selon qu’on est un plutôt un salaud ou plutôt un brave type, on peut interpréter le droit de manière soit restrictive, soit extensive. En outre, en droit, il y a certes la lettre, mais il y a aussi…l’esprit.
Et bien faisons-en, tiens, de l’esprit ! Jouons un peu au mariolle ! Feuilletons nos journaux préférés, notamment les pages « Europe », et notons ce qu’on peut y lire ces jours-ci :
- Grèce : « la Grèce s’attend à une récession pire que prévue en 2012, à 6,7% du produit intérieur brut ».
- Portugal : « les fonctionnaires et retraités ont dû renoncer à leur treizième et quatorzième mois qui servait, bien souvent, à payer les vacances ou les impôts ». Le gouvernement quant à lui envisage d’exiger « des sacrifices équivalent aux Portugais du secteur privé ».
- Espagne : « le gouvernement augmentera la TVA et contraindra les fonctionnaires à travailler davantage sans pour autant gagner plus ».
- Zone euro : « l’Organisation internationale du travail s’alarme particulièrement du chômage des jeunes : de 22% en moyenne pour la zone, il culmine à 30% en Italie, au Portugal et en Slovaquie et à 50% en Espagne et en Grèce ».
De plus, notons que le consentement à cette autodestruction collective actuellement demandé aux peuples d’Europe se fait pour des motifs purement idéologiques. D’une part, « on » a décidé qu’il fallait urgemment « résorber les dettes publiques », mais sans autoriser la Banque centrale européenne (BCE) à les monétiser, ni les citoyens de l’Union à souscrire des titres de dette publique de leurs propres pays. D’autre part « on » a aussi décidé qu’il fallait maintenir une monnaie unique structurellement surévaluée parce que…parce que…parce que c’est comme ça !
Je ne sais vous, mais pour ma part, j’aurais tendance à soupçonner que ce dogmatisme idéologique à la limite de la pathologie mentale est vaguement « inspiré par des motifs politiques, philosophiques »…un peu comme le dit le droit.
On m’objectera sans doute – mais là, c’est vraiment chicaner – qu’il n’y a pas encore eu de morts. Tout dépend : les suicides, ça compte ou pas ? Et puis, quand un blogueur hellène signe un article intitulé « Grèce : le spectre de la famine », on se dit que les morts, c’est comme l’intendance : ça suivra.
Alors c’est quoi, un « crime contre l’humanité » ? Des dirigeants de l’Union européenne, nationaux ou communautaires pourraient-il comparaître pour ce type d’abominations ? Proposer à de millions de personnes la misère pour seul horizon alors même qu’on vit dans l’un des coins les plus riches du globe, c’est un tout petit peu plus, ou un tout petit peu moins salopard que d’enrôler des enfants-soldats au Congo, comme le fit Thomas Lubanga ? Partant de là, des (ir)responsables européens, pourraient-ils un jour avoir à répondre de leurs actes dans une salle d’audience sise en Hollande-Méridionale ?
En termes d’opportunité, j’ai mon idée. En termes de probabilité, je dirais qu’il faut se laisser un peu de temps. Et du temps, on en a à revendre. Parce que le droit dit – et ça, ce n’est pas interprétable – que le « crime contre l’humanité », c’est im-pres-crip-tible.
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