Mohamed Morsi évincé sous la pression du peuple. |
Acconcia : Que pensez-vous de la campagne de manifestations Tamarod?
Samir Amin : La campagne pour la demission de Morsi est magnifique. Des millions de gens ont signé leurs noms après avoir mûrement réfléchi à la question : quelque chose que les médias grand public internationaux ont complètement ignorée. Ils représentent la majorité des électeurs mais ils n’ont aucune voix. Les Frères Musulmans ont le pouvoir et aiment à penser qu’ils contrôlent 100% des voix. C’est ainsi qu’ils ont placé leurs membres dans tous les secteurs publics. Leur façon de gérer le pays provient d’une sorte de capitalisme de connivences qui ne laisse aucune place à des figures de l’opposition ou à des technocrates qui même sous le regime de Moubarak avait un peu de pouvoir.
Acconcia : Cela se passe lors de la pire crise économique depuis des décennies.
Samir Amin : C’est plus qu’une crise économique. Les islamistes n’ont que des réponses ultra-libérales à donner à la crise : ils ont remplacé la clique de bourgeois capitalistes qui étaient les amis de Moubarak par des hommes d’affaires réactionnaires. De plus, leur but est tout simplement de vendre tout le secteur public. Les frères sont détestés par les égyptiens parce qu’ils continuent les mêmes politques que leur prédécesseur.
Acconcia : Peut-être pire encore dans le cas du projet de loi de finance islamique?
Samir Amin : C’est du vol que de metre un prix de vente dérisoire sur des biens qui valent des miiliards de dollars. Il ne s’agit pas des privatisations habituelles que les régimes réactionnaires affectionnent, vendre des biens au prix du marché. C’est une fraude pure et simple, bien plus qu’une privatisation.
Acconcia : Si on se rappelle les étapes de l’année passée avec les Fréres au pouvoir : Morsi a gagné au bout de 8 jours d’incertitude qui ont abouti à l’élimination du nassériste Hamdin Sabbah, au premier tour. Les élections de 2012 ont-elles fait l’objet de manipulations?
Samir Amin : Il y a eu une fraude électorale massive. Hamdin Sabbahi aurait pu passer pour un deuxième tour, mais l’ambassade américaine ne voulait pas. Les observateurs européens ont écouté leurs collègues américains et regardé de l’autre côté pour ne pas voir la fraude en question. De plus, les cinq millions de votes pour Sabbahi étaient parfaitement honnêtes et le fruit d’une grande motivation. D’un autre côté, les cinq millions de votes pour Morsi proviennent du segment le plus misérable de la population, dénuée de conscience politique : le vote de gens que l’on peut acheter pour un peu de pain et un verre de lait.
Acconcia : Diriez-vous que les heurts les plus violents entre la présidence et les manifestants ont eu lieu en novembre dernier comme conséquence du décret présidentiel qui a étendu les pouvoir de Morsi?
Samir Amin : Morsi a démarré par quelques semaines de rhétorique démagogique promettant d’écouter les autres mouvances électorales. Après cela, il est devenu rapidement évident que le Président était une marionnette entre les mains des pays du Golfe qui tiraient les ficelles en cachette. Il était devenu un simple instrument de la volonté du murshid, Mohammad Badie, guide suprême des Frères Musulmans.
Acconcia : Le soutien aux palestiniens a été terminé aussi?
Samir Amin : les Frères Musulmans égyptiens soutiennent Israël, tout comme les pays du Golfe et le Qatar. Ils ont toujours adopté un discours anti sioniste mais c’était juste une tromperie à long terme. L’émir du Qatar, par exemple, est habitué à dire des choses puis à faire l’opposé étant donné l’absence totale d’opinion publique. Maintenant l’Egypte soutient la pire faction des opposants en Syrie à l’instar de la plupart des puissances occidentales réactionnaires. Le résultat final est que la majorité des armes occidentales fournies aux rebelles est utilisée pour financer le pire résultat en Syrie.
Acconcia : Est-ce pour cela que Morsi a soutenu la création d’une zone franche au Sinaï, pour favoriser les relations économiques avec Israël?
Samir Amin : C’est une grande perte pour l’Egypte. Les effets de la nouvelle zone franche ne seront pas l’industrialisation telle qu’on nous le laisse l’imaginer mais la mise en œuvre d’une gigantesque fraude fiscale. Cela va renforcer les petites mafias et le démantèlement du secteur public. En fin de compte, les frères vont accepter toutes les conditions de l’IMF et les prêts attendus seront en conséquence débloquer malgré le fait que la corruption et les scandales financiers se soient propagés dans tout le pays.
Acconcia : Donc comment voyez-vous l’acceptation de la Constitution telle qu’elle a été rédigée par les Frères Musulmans en décembre dernier?
Samir Amin : C’est la dictature de la majorité. Toutefois, les juges ont affiché une très forte résistance et une lutte sans précédent contre la ratification des résultats du référendum constitutionnel. Mais il est clair que le but ultime de Liberté et Justice est de construire une théocratie sur le modèle iranien.
Acconcia : Pour conclure, n’y a-t-il rien à garder de cette année sous le gouvernement Morsi?
Samir Amin : le prolétariat analphabète est facilement manipulé et a fortiori n’obtiendrait pas grand-chose d’un bouleversement suite au renversement de Morsi. De plus, la division qu’entretiennent les Frères Musulmans avec l’armée qui reste dans les coulisses prête à intervenir, est pleine d’ambiguïtés. Le personnel militaire, en tant que classe, est corrompu; une corruption garantie par l’aide américaine, et cette classe est soigneusement composée des différentes classes, divisée en courants politiques dont beaucoup d’entre eux sont proches des Frères et des Salafistes. Cependant, avec des élections normales, et avec une période de préparation démocratique, les Frères seront battus. Mais si ce n’est pas le cas, alors en octobre il y aura un climat plus répressif et le vote sera manipulé par une falsification massive comme la dernière fois.
Traduction : Pierre MILLE - Le PRIDE partage cette lecture de Samir Amin sur les enjeux en Égypte
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