Quand on retrouva ses sandales, Gbagbo ne sera déjà plus là : bien des indices laissent penser que jamais il ne prétendit être une destination, et qu’il se sera perçu comme un simple et fort modeste panneau de signalisation. D’où qu’il lui soit donné de nous observer, Gbagbo persistera à indiquer une destination par-delà sa personne : «L’Afrique ? Continuez, c’est par là… »
Qu’il se trouve des Africains pour chercher à plaire à des Occidentaux est leur droit. Cela fait gagner quelques tapes condescendantes sur l’épaule et un peu d’avoine aux ânes. Et nous sommes nombreux sous les tropiques à avoir été dressés à de telles âneries. Mais tous ces massacres sur fond d’affective cupidité montrent que contrairement à ce que prétendit un Nègre évolué, l’émotivité n’est pas un monopole nègre.
Emotive ? Pressée et stressée par la morsure de sa propre survie économique ? La France, pays européen de plus en plus pauvre, ne veut pas suivre l’Irlande et la Grèce dans les fourches caudines du FMI ou dans la galère humiliante de l’assistanat européen. La France qui vit essentiellement de son capital historique n’aura certainement pas oublié que l’Espagne aujourd’hui à genoux fut la première puissance maritime d’Europe au sillage de laquelle la France dut s’inscrire pour prospérer outre-mer. Et la France renoncerait à tous ses fromages pour ne pas devoir solliciter l’assistance conditionnée d’une Union européenne dont elle s’estime l’une des pièces maîtresses. Or cette France-là est parfaitement consciente qu’elle ne peut tenir ni la route, ni la moindre de ses ambitions de visibilité sans l’Afrique. La voici donc en train de craquer devant les sursauts somme toute récurrents de liberté, d’autonomie et même d’indépendance que lui opposent, chose intolérable, certains pays de son empire colonial. Le masque n’aura donc pas pu tenir. Il est tombé, et dans les flaques de sang du peuple ivoirien. Il ne fait pas bon le comprendre. Il ne fait pas bon le dire.
La presse française s’est donc montrée à la hauteur du carnage ivoirien : le monde entier a observé qu’elle sait se délecter de charogne, et qu’elle se pourlèche les babines au spectacle de putréfaction dont la Licorne a pollué les terres, les villes et les rues de Cote d’ivoire. En son temps, pour d’autres raisons, François Mitterrand dénonça la dérive canine et carnassière de la presse française. Bérégovoy venait d’être poussé au suicide. La mort ; encore la mort ; toujours la mort. Mitterrand, coup de tonnerre, parla de « chiens». Seulement, il n’avait pas pris toute la mesure de l’anthropophagie des médias de sa France : un chien chasse, traque son gibier et le tue ; en revanche et bien moins efficace, l’hyène ne fait que dégoter les carcasses de proies tuées et abandonnées par d’autres prédateurs. Et ce sont bien les charognes humaines abandonnées par la Licorne qui font les beaux jours et les carrières de certains journalistes de France.
En effet, le seul décompte qu’ils savent faire des victimes porte curieusement sur les morts qu’ils attribuent au camp qui n’est pas celui de la Licorne. Soucieux de promouvoir cette nouvelle démocratie qu’il faudra bien nommer démocratie par balles,- Achille Mbembe proposait déjà la « démocratie du bazooka » - ils tentent de convaincre leurs auditeurs et téléspectateurs que les balles tirées par les Rebelles propulsés Républicains, et les obus de la Légion étrangère de France, sont à têtes chercheuses : ces munitions feraient le tri entre les civils et les militaires. Bien mieux encore, les balles françaises sauraient distinguer, parmi les civils, le pro Gbagbo du pro Ouattara. Elles se réserveraient donc de frapper les uns, pour ressortir des cases, revenir dans la rue, et continuer à rechercher les vraies cibles… Voilà pourquoi en Cote d’Ivoire, selon la presse de France, il n’y a de morts que victimes du seul et unique camp de Gbagbo… L’Onu même - sursaut de lucidité ou velléité de remords pour se racheter - a beau répéter que les hommes de Ouattara multiplient des hécatombes sur leur passage, rien n’y fait : d’où ce commentaire d’une chaîne française : « Le Président reconnu par la communauté internationale s’engage à faire toute la lumière sur les massacres qui sont perpétrés par les hommes de Laurent Gbagbo, et à punir les coupables »…Quand on vous dit qu’ils sont incomparables, nos journalistes de France : dans leurs reportages forcément objectifs, la Légion étrangère de France disposerait tout aussi intelligemment de balles et de mortiers intelligents à frappe sélective…
Et Laurent Koudou Gbagbo dans cette spirale ?
Assurément, Gbagbo n’aura pas de communion sans confession. Mais il aura joué un rôle déterminant dans la compréhension de la manière dont fonctionne la ’’Communauté internationale’’ via l’ONU et l’Union européenne. Gbagbo a servi de révélateur au sens chimique de ce terme. Sans doute se sait-il condamné. Mais le destin des révélateurs est de disparaître une fois le résultat de la réaction chimique connu. Et ce résultat, c’est d’avoir amené l’amitié franco africaine à révéler son vrai visage de négrophagie françafricaine. Aucun Africain, gouvernant ou gouverné, ne saurait plus prétendre qu’il n’a pas vu, ou qu’il n’a pas entendu. Ce ne sont pas les pâles dissertations des médias de France qui nous démentiront. Quand il s’agit de casser du nègre, tous les adjectifs qualificatifs sont bons pour disqualifier l’Afrique. Et tout un système politique, économique et social qui vit de la colonisation espère, à coup de blanchiment médiatique, faire oublier les nombreuses « guerres cachées » dont l’Afrique fut victime et dont de bien nombreuses générations d’Africains gardent de profondes séquelles.
La première thérapie pour le complexe de colonisateur consisterait sans doute à affronter le regard de ses victimes et la vérité de ses exactions, dans l’espoir de les exorciser. Mais certains, à l’évidence, n’ont pas le courage de leur histoire.
C’est pourquoi de plus en plus de Français apparemment sains de corps (pour l’esprit nous verrons) déclarent à temps et à contre temps que les Africains qui s’offusquent ou se révoltent sont victimes du ’’Complexe de colonisé’’ ! Ils connaissent donc la psychologie. Ils ont même, pour certains, feuilleté Freud. Ils se doutent que s’il y a complexe, c’est à la suite d’un événement traumatisant, comme par exemple la colonisation. Les Français ont donc en France des psychothérapeutes dont il faudra sans doute augmenter les effectifs au regard de l’éclosion imminente des psychopathologies latentes. Mais il ne convient pas à nos amis de France qu’un lien soit établi entre ce qu’ils considèrent comme « complexe de colonisé » et l’événement traumatisant qu’est la colonisation à la française.
Ave, Gbagbo ! Ceux qui t’ont vu mourir te saluent !
Car les dés sont jetés : « Pile ! », ils te tuent. « Face ! », tu es mort. Mais ce que les Africains ne pouvaient pas encore comprendre du jeu de l’Onu contre Patrice Lumumba ou Ruben Um Nyobe, ce que les Africains n’avaient pas bien saisi dans l’assassinat de Thomas Sankara, les Africains le comprennent aujourd’hui avec Laurent Koudou Gbagbo. La rage de survie économique et financière qui stresse la France pousse ladite France à ravager les peuples et les pays d’Afrique. Elle a réussi à embarquer dans les guerres de survie de l’Hexagone un jeune président Américain fils d’Afrique, au nom de la démocratie électorale. Son rêve d’empire à la Napoléon rappelle le mot de la mère à son empereur de fils : « Pouvou que ça doure ». Car maintenant que la carte française est jouée et que les cartouches de l’Onu sont tirées, il faudra, demain, trouver d’autres munitions pour la mission démocratisatrice, en rattrapage de l’échec de la mission civilisatrice.
L’Onu avait une mission d’interposition pour sécuriser la vie. Voici que par France interposée, elle s’est dégradée et démentie en force offensive d’agression sur l’un de ses Etats membres. La voici donc bien nue, l’Onu. L’Afrique, qui devra à Gbagbo de l’avoir révélé, gagnera à en tirer les conséquences appropriées pour ses peuples, en dépit du silence assourdissant de certaines de ses institutions plus ou moins cosmétiques et manifestement influencées.
Ce sera cependant comme avec Empédocle au bord de l’Etna : ceux qui voudront bien suivre ses traces arriveront sans doute à retrouver ses sandales. Cependant de même qu’Empédocle avait déjà plongé dans l’inconnu de l’Etna quand on retrouva ses sandales, Gbagbo ne sera déjà plus là : bien des indices laissent penser que jamais il ne prétendit être une destination, et qu’il se sera perçu comme un simple et fort modeste panneau de signalisation. D’où qu’il lui soit donné de nous observer, Gbagbo persistera à indiquer une destination par-delà sa personne : «L’Afrique ? Continuez, c’est par là… »""
Par Charly Gabriel Mbock : http://www.germinalnewspaper.com
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