Comment est-il possible que le beau mot d’« humanitaire », qui a suscité tant de vocations généreuses, qui a incarné un temps une utopie de remplacement à l’effondrement des idéologies, ait débouché sur ce spectacle que Raoul Peck n’hésite pas à qualifier de « pornographique », indécent.
Comment est-il possible que trois ans après le séisme, après la mobilisation de milliards de dollars, la mise en branle des plus grandes institutions mondiales et des plus petites ONG, le défilé de stars et l’engagement d’un ancien président américain, les Haïtiens, si l’on en croit Raoul Peck, vivent encore plus mal aujourd’hui ? ""
Le 12 janvier dernier, le troisième anniversaire du séisme a donné lieu au même bilan sévère que les années précédentes : reconstruction à peine entamée, marasme économique, pérennisation de campements de fortune et de nouveaux bidonvilles surpeuplés à Port-au-Prince et aux alentours. C’est cet échec que le cinéaste haïtien Raoul Peck a documenté deux années durant.
Son film décrit ainsi au fil des mois, du haut au bas de l’échelle (conclaves interministériels des grands bailleurs, jeunes volontaires d’ONG sur le “terrain”, négociations à l’ONU...), le fonctionnement, ou plutôt le dysfonctionnement de l’assistance. Un monde qui tourne sur lui-même (plus de 50 % des fonds versés revient sous forme de salaires et de commandes aux donateurs eux-mêmes), avec ses stars (Bill Clinton, encore, mais aussi Sean Penn, Angelina Jolie...), ses rites (colonnes de 4x4, séminaires climatisés d’évaluation, inaugurations de projets, cocktails) et son inaltérable bonne conscience. En dépit de l’impuissance patente à atteindre les objectifs fixés au départ, le système global de l’aide n’est en effet jamais remis en cause en tant que tel par ses acteurs, si sincères et si dévoués soient-ils. En Haïti, comme dans tant d’autres pays pauvres, ils ont un alibi tout trouvé : l’inadéquation des Haïtiens eux-mêmes, argument qui, d’emblée, motive leur exclusion des processus de décision.
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