Dans un précédent article paru le 16 Septembre 2013 [1], le Général Amin Hoteit constatait, ainsi que la plupart des observateurs de bonne foi ou condamnés à reconnaître une certaine part de vérité, que « suite à la résistance devenue légendaire de la Syrie face à une guerre planétaire et qui dure depuis plus de trente mois par l’intermédiaire d’une horde assassine de terroristes armés jusqu’aux dents , voilà que les équations attendues sur le terrain s’inversent et que les tendances générales observées sur la scène internationale se modifient. Ainsi, nous avons vu la crise passer du stade où l’agression incendiaire allait atteindre ses objectifs selon la logique de la solution militaire imaginée par le camp des États agresseurs dirigé par les USA, au stade où il n’est plus possible que d’envisager une solution pacifique par le dialogue et la négociation ».
Il ajoutait : « L’agression incendiaire devra désormais se limiter à deux objectifs : servir de pression diplomatique dans la négociation, et purifier le territoire syrien de tous les déviants partis combattre un État laïc où coexistent des citoyens de toutes les religions et croyances… Nouveaux objectifs qui ont abouti à l’accord de Genève du 14 Septembre 2013 entre les ministres des Affaires étrangères de la Russie et des États-Unis… Nous étions arrivés au bord de l’explosion qui aurait détruit la région ; mais étant donné les intérêts et l’’équilibre des forces sur le terrain, il nous paraissait logique de prédire que les USA n’oseraient pas mettre leur menace à exécution, quoique nous n’avions pas exclu la probabilité d’une erreur de calcul de leur part ! ».
L’erreur de calcul étant momentanément écartée par ce que les médias se plaisent à qualifier de « manœuvre diplomatique astucieuse de Vladimir Poutine » [2] sans jamais admettre que la Syrie et les Syriens se battent, depuis deux longues années et demi, d’abord et avant tout pour leur « identité » contre des zombies de destructions massives toujours nourris par les USA et leur dernier allié occidental plus royaliste que le roi… Un allié, dit-on, sonné par « le revirement d’Obama » mais qui ose encore prétendre, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, que l’armée syrienne tue son peuple et qu’à la limite la résistance héroïque de ce peuple, face à la plus dégueulasse des guerres qu’ait connu l’Histoire, constitue « une atteinte à la paix et à la sécurité internationales » ! [3].
Comble du comble, l’Ambassadeur permanent de la Syrie auprès de l’ONU, M. Bachar al-Jaafari, aurait commis un crime de lèse-majesté en s’en prenant à la France ! [4]. Il aurait été plus honnête de dire qu’il s’en est pris à ses dirigeants et plus particulièrement à M. Fabius qui « semblait ne pas comprendre la signification de la résolution 2118 » [5] votée à l’unanimité par le Conseil de sécurité des Nations Unies le vendredi 27 Septembre 2013 [6].
Puisque, selon les dires de M. Fabius lui-même [3] « Tout ça bien évidemment doit être passé au filtre de la réalité », que devons-nous comprendre et redouter de cette résolution 2118, comme nous l’explique le Général Hoteit ? [NdT].
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La résolution 2118, adoptée par le Conseil de sécurité pour le démantèlement et la destruction des armes chimiques en Syrie, restera une étape importante et décisive témoignant de la transition vers un nouvel ordre mondial ; les résolutions des trois décennies précédant ce 27 Septembre 2013 ayant été d’une toute autre nature.
Pour rappel, suite à l’effondrement de l’URSS, les USA avaient fait main basse sur les organisations et institutions internationales, notamment sur le Conseil de sécurité pratiquement rattaché au ministère US des Affaires étrangères et aux ordres de la Maison Blanche, sans que certains n’osent utiliser leur droit de veto et que d’autres ne songent ne serait-ce qu’à hésiter devant leur volonté. Le Liban en a fait l’amère expérience suite à l’adoption de la résolution 1559 le concernant [7]; laquelle, bien que soumise au chapitre VI de la Charte des Nations Unies, était en contradiction avec la Charte elle-même puisqu’elle revenait à violer sa souveraineté et son indépendance, interférait dans ses affaires intérieures, et se mêlait de ses relations avec un pays frère. Sa mise en œuvre a étrangement nécessité la nomination d’un « Envoyé spécial » du Secrétaire général de l’ONU, lequel n’a pas tardé à se transformer en une sorte de « Haut Commissaire US-international au Liban » !
En revanche et malgré la prétendue satisfaction victorieuse des USA, cette dernière résolution 2118 peut être considérée comme le signe annonciateur du retour à l’équilibre au sein du Conseil de sécurité et, par conséquent, du retour à un certain équilibre dans les relations internationales. Nous avons suffisamment dit et répété depuis deux ans que c’est de la matrice syrienne que naîtra un nouvel ordre du monde et c’est ce qui a déjà commencé.
Ceci étant dit, il est important que nous examinions les étapes clés qui ont mené à l’approbation de cette résolution par le Conseil de sécurité :
La référence au Chapitre VII
Cette référence est une volonté du bloc occidental sous direction US et avec incitation des pays du Golfe, pour que le Conseil de sécurité justifie le recours à la force militaire ou autorise n’importe quel État membre à en user contre la Syrie et son gouvernement. C’était le but des manœuvres US qui ont cherché à imposer leurs diktats à la Syrie. Mais les nouvelles équations ont gâché cette chance aussi bien pour les occidentaux que pour les USA. La résolution a été prise en vertu du chapitre VI, ce qui signifie que sa mise en œuvre ne nécessite pas le recours à la force mais reste conditionnée par le consentement de l’État concerné et, par conséquent, affirme sa souveraineté.
Ce fait n’est nullement modifié par ce qui est indiqué au paragraphe 21 quant à l’imposition de mesures en vertu du chapitre VII en cas de non respect de la résolution, car elle ne se limite pas au gouvernement syrien, comme le souhaitaient les USA, mais vise implicitement toute personne concernée par son application y compris les groupes armés sévissant sur le territoire syrien ainsi que les États voisins qui faciliteraient la possession ou le transfert d’armes chimiques en Syrie.
D’autre part, l’éventuel recours au chapitre VII n’est pas automatique, mais passe par la prise d’une nouvelle résolution du Conseil de sécurité et par le droit de veto de chacun de ses membres permanents, après identification du contrevenant et des conditions du recours à la force.
Finalement, le texte de cette résolution 2118 comporte des points positifs dans l’intérêt de la Syrie même si le bloc occidental tente de les négliger, l’impact du paragraphe 21 étant de nature politique, sans plus !
Les destinataires de la résolution
Depuis le début de l’agression contre la Syrie, les USA et tous leurs affidés ont cherché à convaincre de la non légitimité du régime et du gouvernement syriens, affirmant que les seuls représentants du peuple syrien étaient ce groupe de « résidents de palaces à l’étranger » pompeusement nommés Conseil national syrien [CNS] puis Coalition… et sont allés jusqu’à les asseoir sur le siège de la Syrie à la « Ligue hôtelière des États arabes » ; l’État syrien étant, selon eux, responsable de tout le sang versé !
La résolution 2118 est venue contredire ce cliché étant donné qu’elle appelle par la lettre et l’esprit à travailler avec la gouvernance légitime actuelle de la Syrie ; met en échec les tentatives US innocentant les crimes des gangs armés sévissant sur son territoire ; équilibre le discours des organisations et des États agresseurs, lesquels sont désormais comptables de toutes tentatives d’exploitation et de livraison d’armes chimiques aux prétendus rebelles. Le paragraphe 5 de la résolution est plus que clair : « … aucune des parties syriennes ne doit employer, mettre au point, fabriquer, acquérir, stocker, détenir ou transférer des armes chimiques ».
Les clauses qui méritent prudence
Il ne faudra pas oublier que les USA contrôlent toujours le Secrétariat général des Nations Unies et son Secrétaire général en particulier. Il n’est donc pas exclu qu’ils tentent de biaiser certaines clauses de la résolution pour faire dérailler le processus de désarmement à leur avantage. Cela n’a certainement pas échappé à M. Bachar al-Jaafari qui a déclaré que la résolution « couvre la plupart des préoccupations de la Syrie »… la plupart ! En effet, certains points de détails nous paraissent mériter prudence :
-- Le Secrétaire général étant habilité pour désigner les envoyés onusiens chargés de répertorier, inspecter, vérifier la destruction des armes chimiques, avec lesquels la République arabe syrienne devra coopérer ; il faudra veiller à ce que le personnel désigné ne soient pas d’emblée susceptible de s’écarter de l’esprit de la résolution [Paragraphe 7].
-- Les États membres étant engagés à « contrôler » et donc à rendre compte de leurs observations concernant l’application de la résolution, certains plus enclins aux calomnies que d’autres ; il serait plus prudent de constituer un « Comité international de surveillance des calomniateurs » [Paragraphe 10].
-- La résolution « insistant sur le fait que la seule solution à la crise syrienne est un processus politique sans exclusive, dirigé par les Syriens, fondé sur le Communiqué de Genève du 30 juin 2012… », lequel a convenu des lignes directrices et de principes pour une transition politique par, entre autres, la mise en place d’un organe de gouvernement transitoire qui pourra comprendre des membres de l’actuel gouvernement et de l’opposition « ainsi que d’autres groupes »… [8] ; il faudra être particulièrement prudent sur deux autres points. Le premier est de faire en sorte que le bloc occidental ne puisse pas choisir les membres de cet organe à sa convenance, mais qu’il soit effectivement composé de véritables représentants du peuple syrien. Le deuxième, est de veiller à ce qu’il ne présente pas cet organe comme le remplaçant de l’autorité légitime actuellement au pouvoir en Syrie. Ceci, parce que certains États pourraient persister dans leurs tentatives visant à faire admettre, dans ses rangs, des représentants de l’un quelconque des groupes prétendument révolutionnaires syriens… sous prétexte qu’ils sont « militairement victorieux » dans certaines zones, dites libérées, du territoire syrien.
Ici, il faut souligner l’importance des déclarations du ministre syrien des Affaires étrangères et des expatriés, M. Walid al-Mouallem à propos de la Conférence de Genève 2 : « La Syrie appuie la tenue de la conférence de Genève 2 pour parvenir à un règlement politique de la crise… Nous n’y participerons pas pour livrer le pouvoir à quiconque… C’est au peuple syrien, seul, de décider de son avenir via un processus politique loin de toute ingérence étrangère… Elle peut parvenir à un programme et à un plan d’action politique qui sera soumis à référendum populaire pour que le peuple syrien soit le décideur de son avenir… Tout règlement inadmissible par le peuple syrien, est inapplicable » [9].
En conclusion, en dépit de ces quelques observations qui justifient la prudence, il nous faut dire que la résolution 2118 est le premier fruit de la victoire de la Syrie dans sa défense contre l’agression planétaire sans précédent, une victoire qui tend donc à rétablir l’équilibre au sein Conseil de sécurité et d’un nouvel ordre mondial multipolaire. Grâce à sa résistance, la Syrie demeure souveraine, une et indivisible ; ce que la résolution 2011 confirme absolument !
Dr Amin Hoteit
( Le Docteur Amin Hoteit est libanais, analyste politique, expert en stratégie militaire, et Général de brigade à la retraite.)
Article traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Article original : Al-Thawra
القرار 2118 أول قرار في ظل نظام عالمي جديد؟ ولكن..؟
Notes :
[1] المعالم الأساسية لمشروع الاتفاق الدولي حول سورية و
http://thawra.alwehda.gov.sy/_kuttab_a.asp?FileName=72038658720130916005444
[2] EXCLUSIF. Comment Hollande avait prévu de frapper la Syrie
http://tempsreel.nouvelobs.com/guerre-en-syrie/20130927.OBS8824/exclusif-comment-hollande-avait-prevu-de-frapper-la-syrie.html
[3] Fabius à l’ONU
http://www.franceonu.org/la-france-a-l-onu/espace-presse/declarationspresse/points-de-presse/article/23-septembre-2013-ouverture-de-la
[4] L’ambassadeur syrien s’en prend à la France
http://www.leparisien.fr/international/syrie-le-desarmement-vote-a-l-onu-mais-pas-de-sanctions-automatiques-28-09-2013-3177319.php
[5] Conférence de presse de M. Bachar al-Jaafari à l’ONU le 28 septembre 2013
https://www.youtube.com/watch?v=TF0oErnWkPY&feature=player_embedded
Extrait vers la 6ème minute :
À la question [pas très audible] concernant le gouvernement français qui reconnait « Al-Jarba » comme le seul représentant légitime du peuple syrien et alors que M. Fabius avait participé le jeudi 26 Septembre à une réunion de la prétendue opposition syrienne, à New York, et en sa présence ; M. Al-Jaafari répond :
« Absolument pas ! Ceci n’est pas conforme à l’accord… J’ai adressé hier une lettre au Secrétaire général pour lui demander de renoncer à cet événement secondaire… C’est en toute franchise que je vous dis qu’il a eu lieu grâce à la délégation française dont la lecture des événements est plutôt surréaliste. La diplomatie française se comporte en« amateur » et non de façon professionnelle. Je conseille au ministre français des Affaires étrangères de lire la résolution avec attention. Ainsi il pourra en conclure qu’à partir de maintenant, ni lui ni son pays ne seront autorisés à en violer les décisions. Elle interdit au gouvernement français d’inciter au terrorisme et à la violence en territoire syrien. Elle interdit à Paris et au ministre français des Affaires étrangères de contribuer à l’escalade de la situation en Syrie à travers le soutien et la fourniture d’armes à ceux qui s’opposent à la tenue de la Conférence de Genève 2… Par conséquent, la diplomatie française a commis beaucoup d’erreurs. Il y a quelques minutes à peine, le ministre des Affaires étrangères lisait sa déclaration et paraissait ne pas avoir compris la signification de cette résolution… Mais il y a deux ou trois jours ils [la délégation française] ont organisé cet événement secondaire dans les locaux mêmes de l’ONU, ce qui constitue une violation flagrante de la Charte et de la volonté des États membres ».
[6] Security Council requires Scheduled Destruction of Syria’s Chemical Weapons, Unanimously Adopting Resolution 2118 (2013)
http://www.un.org/News/Press/docs/2013/sc11135.doc.htm
[7] Résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies
http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9solution_1559_du_Conseil_de_s%C3%A9curit%C3%A9_des_Nations_unies
La résolution 1559 a été adoptée le 2 septembre 2004 par le Conseil de sécurité de l’ONU, à l’initiative conjointe de la France et des États-Unis, par 9 voix sur 15 et 6 abstentions… « Ont déclaré que la résolution constituait une ingérence dans les affaires intérieures du Liban et se sont abstenus : Russie, Chine, Brésil, Algérie, Pakistan, Philippines ».
[8] Communiqué final (Genève, 30 juin 2012)
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/syrie/la-france-et-la-syrie/evenements-4439/article/reunion-du-groupe-d-action-pour-la
[9] Mouallem : La Syrie appuie la tenue de la conférence de Genève 2
http://213.178.225.235/fra/51/2013/09/28/504808.htm
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