Si vous demandez à des gens ce qu’évoque pour eux la Somalie, la première réponse sera à coup sûr : « il y a des pirates ». Exact, en effet !
Si vous leur demandez « et quoi d’autre ? », une petite moitié vous répondra : « un pays sans gouvernement depuis des années ». Vrai aussi !
Mais si vous poussez le vice à demander pourquoi des pirates, et pourquoi ce vide gouvernemental, je doute que quelqu’un s’essaye à une réponse.
Car une fois de plus, nos médias, depuis des années, sur la Somalie, comme sur d’autres pays, ne nous proposent que des états des lieux, mais jamais une seule analyse, ni explication, et surtout pas un mot sur les causes et les responsables de ces situations. On ne sait jamais, au cas où quelqu’un pourrait s’avérer « génant », en trouvant des solutions …
Je vous livre ci-dessous, un article, une interview et une page wikipedia, le tout en brut ; en les lisant, et en combinant les trois, vous aurez toutes les réponses aux questions qu’on ne vous pose jamais et que peut-être vous ne vous posez jamais vous-mêmes d’ailleurs. Pourtant, elles aident à comprendre tous les états des lieux qu’on nous déballe tous les jours…
Somalie : une famine made in USA, par Lee Wengraf, traduit de l’anglais par Marc Harpon pour Changement de Société.
La Somalie, en Afrique de l’Est, est le théâtre d’un cauchemar humanitaire, une famine massive qui a coûté des dizaines de milliers de vies somaliennes ces derniers mois, d’après les Nations Unies.
Plus de 3 millions de personnes sont affectées pour l’instant et plus de 10 millions sont menacées à travers la Corne de l’Afrique.
La BBC a dit le 6 août qu’environ 640 000 enfants sont actuellement mal-nourris en Somalie, et 3,2 millions de personnes ont un besoin vital d’une assistance immédiate.
Antonio Guterres, chef de l’agence de l’ONU pour les réfugiés, a dit en Juillet que la Somalie était « le pire désastre humanitaire » au monde.
L’ONU a officiellement qualifié la crise de famine, désignation employée pour la première fois depuis 1984.
Des milliers de somaliiens se sont déversés dans les camps de réfugiés au Kenya et en Éthiopie. La population du camp le plus grand, au Kenya, Dadaab, croît de plus de 1300 âmes par jour. Elle pourrait monter jusqu’au demi-million, a déclaré Oxfam.
La BBC a affirmé : « Certaines parties de la capitale, où il y a des camps pour les déplacés, ont été parmi les trois zones que l’ONU a déclarées affectées par la famine la semaine dernière. »
La BBC a rapporté le 4 Août que l’ONU avait déclaré que 4 millions de kényans étaient menacés par la faim.
Le 4 août, l’Unité des Nations Unies pour l’Analyse de la Sécurité Alimentaire et la Nutrition disait que la famine était « probablement destinée à persister au moins jusqu’à décembre ».
Les fonctionnaires des États-Unis ont accusé la rébellion al-Shabab, qui contrôle le Sud de la Somalie, d’être responsables de la faim.
Al-Shabab- qui a affronté durant les quatre dernières années le Gouvernement Fédéral de Transition soutenu par les États-Unis- a été étiquetée organisation terroriste et branche d’Al-Quaida par les États-Unis.
Washington prétend que le groupe est responsable d’une aggravation des conséquences de la sécheresse en bloquant les voies d’acheminement de l’aide humanitaire dans les zones les plus affectées.
Les rebelles ont annulé une décision antérieure de lever l’interdiction des agences internationales. Cela a encouragé la Secrétaire d’État Hilary Clinton à prétendre le 4 août que al-Shabab « empêchait l’assistance aux populations les plus vulnérables en Somalie ».
Mais il y a plus en jeu. Les responsabilités de la crise en Somalie reviennent entièrement aux États-Unis.
Des décennies d’intervention occidentale se trouvent au cœur de la crise.
Des responsables d’organisations humanitaires ont cité un manque de moyens- et non pas al-Shabab- comme l’obstacle principal pour atteindre les victimes de la famine.
Le 4 Août, The Guardian, a rapporté que Anna Schaaf, porte-parole pour le Comité International de la Croix Rouge, avait dit : « Les limites de notre action se situent plus du côté de la logistique que de celui de l’accessibilité ».
L’UNICEF et la Croix Rouge ont cité des problèmes d’achats d’aliments et de planification de vols comme leurs principales préoccupations.
« L’insuffisance des stocks en Somalie incombe gravement aux organisations humanitaires », a dit à The Guardian Tony Burns, le directeur des opérations pour Saacid, la plus vieille ONG en Somalie.
Al-Shabab bloque peut-être des voies d’exode pour les réfugiés partant vers le Sud, mais, poursuit Bruns, les rebelles « ne sont pas monolithiques » et on peut négocier avec eux.
« Ils sont radicaux dans certaines zones, mais très modérés dans d’autres. Dans des zones où ils sont faibles, ce sont plutôt les clans qui font la loi » a déclaré Bruns.
Le New York Times a affirmé le 20 Juillet : « Les responsables des ONG soutiennent que, les règles du gouvernement américain, qui interdisent le soutien matériel aux activistes, qui exigent souvent des « taxes » pour autoriser le passage des livraisons, entravent aussi les efforts d’urgence »
Enfin, les prix alimentaires mondiaux- alimentés par la spéculation et la soif de profit- ont recommencé à monter en flèche en 2010 après être descendus de leur sommet de 2008.
Le prix des céréales en Somalie était de 240% plus élevé en Mai par rapport à l’an dernier, ce qui continue d’aggraver les dangers de la sécheresse.
L’ONU a demandé 1,6 milliards de dollars pour faire face à la crise, mais n’en a reçu environ que la moitié.
Les États-Unis ont promis quelques pitoyables 28 millions en réponse à la requête de l’ONU.
Clinton a prétendu que les États-Unis avaient déjà donné 431 millions de dollars en nourriture et en aide d’urgence à la Somalie pour cette année uniquement.
Mais une lourde part de ce que les États-Unis allouent à la Somalie arrive sous forme d’assistance militaire, au gouvernement Somalien comme à la Mission de l’Union Africaine en Somalie (AMISOM) forte de 9000 hommes, majoritairement des militaires d’Ouganda et du Burundi.
La présence de l’AMISOM a alimenté une guerre civile qui a terrorisé des millions de somaliens ordinaires.
L’implication directe dans le contre-terrorisme est également un élément majeur de la politique étrangère étasunienne dans la région. Ce rôle s’intensifie avec l’extension de la guerre des drones et d’autres activités.
Dans une récente visite en Somalie, le journaliste Jeremy Scahill a rapporté dans un article de The Nation daté du 12 Juillet qu’il avait découvert une base de la CIA,où des prisonniers du Kenya et d’Éthiopie sont interrogés, près de l’aéroport de Mogadiscio.
La base est également impliquée dans des frappes militaires clandestines.
Black Agenda Report a affirmé le 13 Juillet que la famine était directement liée à l’escalade du conflit militaire étasunien : « Les États-Unis ont armé toute une série de milices opérant près des frontières avec l’Éthiopie et le Kenya, rendant l’agriculture normale impossible, et l’actuelle énorme catastrophe était inévitable. »
L’AFRICOM [United States Africa Command, commandemment unifié pour les opérations étasuniennes en Afrique, ndt] a été crée en 2007. Son budget pour l’an prochain est proche des 300 millions de dollars, une augmentation de plus de 20 millions de dollars par rapport à l’année dernière.
La Somalie est un élément central dans l’implantation de l’AFRICOM.
L’administration Obama a annoncé en Juillet qu’elle envoyait des marines pour entraîner les « soldats de la paix » africains sur place. Elle a promis plus de 75 millions de dollars pour l’assistance antiterroriste en Somalie.
La responsabilité occidentale dans la crise remonte à plusieurs décennies.
L’austérité et la privatisation mondiales- conduites par la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International (FMI)- ont semé le désordre dans le Tiers-Monde, à l’ère des « ajustements structurels », qui a commencé en 1970.
Un article de Pambuka News daté du 3 Août signalait que la Somalie était autosuffisante jusqu’à la fin des années 1970, en dépit de conditions de sécheresse. Mais la politique financière mondiale a tiré les salaires vers le bas et augmenté les coûts pour les paysans, aplanissant la route pour la guerre civile, qui a éclaté en 1988.
Les États-Unis ont longtemps vu la Corne de l’Afrique comme une zone stratégique, par sa proximité avec des routes commerciales passant par le Canal de Suez, et son accès au Moyen-Orient et à l’Asie du Sud.
La militarisation, l’ajustement structurel et la dernière guerre civile des années 1980 ont produit une horrible famine qui, en 1991 avait pris 300 000 vies.
Les États-Unis ont pris la famine comme prétexte pour une intervention militaire et envoyé des troupes en 1992, avec le soutien de l’ONU, et cela, en dépit du fait que la plus sévère période de famine s’était achevée plusieurs mois plus tôt, et que le taux de mortalité avait chuté de 90%.
Les fonctionnaires étasuniens ont estimé que leurs forces ont fait entre 6000 et 10 000 victimes- dont les deux tiers sont des femmes et des enfants- durant les six premiers mois de 1993 seulement.
Depuis l’intervention, la Somalie a constamment été classée au bas de l’échelle du développement humain, de l’espérance de vie à la mortalité infantile.
Depuis 1991, elle a été dévastée par des guerres civiles, alimentées par le soutien américain à divers camps de belligérants.
En 2006, l’Éthiopie voisine a envahi la Somalie pour renverser l’Union des Cours Islamiques (UCI), qui détenait le pouvoir depuis à peine quelques mois, mais parvenaient à apporter un faible degré de stabilité au pays.
Le soutien, l’entraînement et le financement étasunien du renversement éthiopien de l’UCI a été un secret de Polichinelle- de même que le soutien de Washington à l’installation du Gouvernement Fédéral de Transition à la place de l’UCI.
Quand l’Éthiopie s’est retirée au début de 2009, elle a laissé derrière elle une guerre civile aggravée et un crise des réfugiés. Environ 10 000 personne ont été tuées et 1,1 million de somaliens sont devenus des réfugiés.
Human Rights Watch a publié un rapport en décembre 2008 d’après lequel 40% de la population de la Somalie du Sud et du centre avaient un besoin urgent d’assistance humanitaire.
Alex Thurston a déclaré dans un commentaire sur africaisacountry.com : « La chute et la fragmentation de l’UCI, combinées à la brutalité de l’occupation éthiopienne, ont facilité l’émergence d’Al-Shabab, l’aile militaire de l’ICU »
Le danger d’une intervention militaire étasunienne en Somalie refait surface pour l’avenir proche (Abou Amin : Avec le recul nous constatons que cette prédiction était juste). La famine- exactement comme en 1992- fournit une couverture potentielle pour une implication de plus en plus forte.
Le 6 Août, al-Shabab, a fui les zones rebelles de la capitale, Mogadiscio. Au sommet de sa gloire, l’organisation contrôlait à peu près le tiers de la ville.
Mais la question de savoir si le gouvernement peut garder le contrôle de la ville reste ouverte.
Scahill a décrit la situation : « Dans la bataille contre Shabab, les États-Unis ne semblent pas, en fait, avoir accordé leurs violons avec ceux du gouvernement somalien »
« La stratégie étasunienne qui émerge en Somalie- politique officielle, présence secrète étendue, financement de plans divers- a deux orientations principales : d’une part, la CIA entraîne, paie et parfois dirige les agents de renseignement somaliens qui ne sont pas fermement contrôlés par le gouvernement somalien, tandis que le JSOC [Joined Special Operation Command] conduit des frappes unilatérales sans en avertir le gouvernement ; d’autre part, le Pentagone accroît son soutien et ses livraisons d’armes aux opérations de forces militaires africaines non-somaliennes ».
Pendant ce temps, le président ougandais Yoweri Museveni, un solide allié des États-Unis, a appelé à ce qu’une zone d’interdiction de vol soit établie au Sud de la Somalie.
Et à Washington, NewsDay.com a affirmé le 27 Juillet que le parlementaire républicain Peter King aidait à alimenter la pression pour une intervention soulevant le spectre du terrorisme aux États-Unis- (parce qu’Al-SHabab recruterait des somaliens-américains).
Pour ceux qui veulent voir la fin de la guerre et de la famine en Somalie, les forces de la paix de l’ONU ne sont pas une solution. Les troupes de l’ONU suivent les décrets des États-Unis et leurs priorités, comme elles l’ont fait durant l’intervention humanitaire de 1993.
Les Etats Unis s’inquiètent surtout d’assurer leur domination sur une région stratégique. Une famine dévastatrice et des milliers de morts ne sont qu’un faible prix à payer pour atteindre cet objectif. Pour mettre un terme aux misères du pays il faut que les États-Unis se tirent de Somalie maintenant. Source
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