français qui s’étaient «perdus» devant la Résidence présidentielle est désormais «morte», «tuée» par des preuves matérielles. Si Paris a pu mentir et manipuler autant pour en finir avec le chef de l’Etat ivoirien en 2004, il est plus qu’urgent de revisiter le jeu de l’Etat français à Abidjan à la faveur de l’élection présidentielle de 2010.
C’est un beau scoop que l’on doit au site Internet SlateAfrique. Un journaliste qui collabore à cette publication, et signe sous le nom d’Alexandre François, a réussi à se procurer la plainte contre l’ancienne ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie pour «faux témoignage sous serment» et «complicité d’assassinat» déposée par des soldats rescapés du bombardement de Bouaké. Au-delà de l’accélération de la procédure – l’affaire pourrait très vite atterrir à la Cour de cassation –, et du renversement spectaculaire de la nature de la mise en cause – Alliot-Marie a remplacé le «grand méchant Gbagbo» dans le rôle de suspect numéro un –, le journaliste semble avoir eu accès à une partie du dossier.
Il en ressort avec des certitudes qui étaient déjà en grande partie établies, notamment le fait que face à la juge Florence Michon, Michèle Alliot-Marie a multiplié les «réponses laconiques» et les «contre-vérités ».«Dans une question, la juge Michon fait remarquer à Michèle Alliot-Marie que les huit mercenaires biélorusses détenus au Togo, auraient pu alors être auditionnés par des magistrats ou enquêteurs venus de France, qui auraient pu ensuite demander leur extradition. Réponse de la ministre : «On m’a indiqué qu’il n’y avait pas de base juridique puisque pas de mandat d’arrêt international. C’était un membre de mon cabinet qui m’a répondu».Interrogé en 2012, le conseiller juridique en poste en 2004 au ministère de la Défense a déclaré sous serment que non seulement, il n’avait pas été consulté, mais que s’il l’avait été, il n’aurait certainement pas donné cette réponse. En réalité, tout a été fait pour que les mercenaires s’évanouissent dans la nature», écrit le journaliste.
Pourquoi alors ne pas les avoir interceptés à leur descente d’avion? «Il s’agissait d’une zone de combats. On ne pouvait pas mettre la vie de nos soldats en danger, explique Alliot-Marie sans se démonter. Ce qui n’a pas empêché les militaires français d’effectuer une action bien plus dangereuse: la destruction à coups de hache des deux appareils», poursuit-il.
Alliot-Marie a aussi menti en prétendant que parmi les Biélorusses arrêtés au Togo, il n’y avait ni pilote ni militaire mais des «ouvriers de maintenance». Ce qui la confond, ce sont les témoignages d’Esso Boko, ex-ministre togolais de l’intérieur, et d’un conseiller technique français qui travaillait à Lomé. Tout cela, on le savait un peu...
La «Cellule Afrique» de l’Elysée mise en cause
En lisant l’article de SlateAfrique, on en sait plus sur la thèse privilégiée par certains témoins interrogés dans le cadre de cette affaire et sur les personnes mises en cause. Voici par exemple ce qu’a dit la juge Florence Michon, le 7 mai 2010, à Michèle Alliot-Marie : «Un témoin affirme que l'attaque du camp français est le résultat d'une manoeuvre élyséenne, mise en place par la "cellule Afrique", et dans laquelle vous êtes directement impliquée, visant à faire "sauter" le président Gbagbo. Cette manoeuvre consistait à fournir à l'armée de l'air ivoirienne une fausse information sur l'objectif à bombarder (…) Le but poursuivi par l'Elysée était de faire commettre une erreur monumentale aux forces loyalistes, afin de déstabiliser le régime et de faire sauter le président Gbagbo, que les Français voulaient remplacer, peut-être par un général ivoirien réfugié à Paris (...), secrètement ramené en Côte d'Ivoire par Transall (NDLR: avion de transport), et se trouvant dans l'un des blindés du convoi qui s'est rendu jusqu'à la porte du palais».
Qui est le témoin en question ? En tout cas, l’on sait que le général Poncet a évoqué une «bavure manipulée» devant ses juges. Est-ce pour cela qu’il subit ce qu’il subit actuellement ? La «Cellule Afrique» de l’Elysée était en tout cas dirigée par le très anti-Gbagb-Michel de Bonnecorse, qui doit avoir quelques frayeurs en ce moment.
Les militaires français ne s’étaient pas trompés de route en arrivant devant la résidence de Gbagbo
Il n’est désormais plus possible d’affirmer que les chars français qui, le 7 novembre 2004, s’étaient retrouvés à l’entrée de la Résidence présidentielle de Cocody, y étaient arrivés par erreur. SlateAfrique écrit : «Rappel des faits : le 7 novembre, le régiment bombardé la veille à Bouaké arrive peu avant minuit à Abidjan avec ses six cent hommes et sa colonne de soixante blindés. Selon les déclarations officielles, il a pour mission de prendre possession de l’hôtel Ivoire, situé à quelques centaines de mètres de la résidence de Gbagbo. Mais elle «rate» l’immeuble de 24 étages et va «se perdre» dans l’entrée présidentielle.
Le face à face avec l’entourage du chef de l’État ivoirien dure deux heures avant que les militaires français ne décident de se replier vers l’Ivoire.Cette version officielle est totalement démentie par le carnet de route du régiment de Bouaké. La colonne est bien arrivée vers 23h30 pour se diriger vers la résidence présidentielle, où elle a stationné jusqu’à 2h30 avant de mettre le cap vers son cantonnement, le Bima, situé près de l’aéroport d’Abidjan.Vers 5 heures, elle a pris de nouveau le chemin de l’Ivoire où elle s’est installée. Son objectif originel était donc la résidence présidentielle.»
Mathias Doué était bel et bien dans le coup...
Beaucoup d’Ivoiriens se souviennent du face-à-face tendu entre Mamadou Koulibaly, alors président de l’Assemblée nationale, les généraux Poncet (Licorne), Fall (ONUCI) et Doué (FANCI), et du malaise évident du dernier cité. Et pour cause : «La présence aux côtés des militaires français du général Mathias Doué, chef d’état major de Gbagbo, est attestée par les comptes-rendus de l’armée, notamment à partir du 8 novembre. Surnommé «le chinois », Doué a été limogé de son poste par Gbabgo le 13 novembre», écrit SlateAfrique.
Des questions qui demeurent
«La plainte de soldats devant la Cour de justice de la République comporte d’autres éléments troublants, rapportés par l’enquête de la justice française. On apprend ainsi que les aéronefs ivoiriens (Soukhoï et Mi 24) n’ont pas été détruits sur instruction de Jacques Chirac, mais ont commencé à être démolis à la hache 43 minutes après l’attaque meurtrière, sur un coup de colère, bien compréhensible, de militaires apprenant la mort de leurs camarades», écrit Alexandre François.
On reste dubitatif. Comment, malgré ce «coup de colère», ont-ils épargné les pilotes biélorusses qui ont par la suite bénéficié de la protection vigilante des autorités françaises ? Comment ce «coup de colère» s’est-il exprimé à la fois à l’aéroport de Yamoussoukro, à la Résidence du chef de l’Etat de Yamoussoukro et au GATL d’Abidjan ? Il y avait forcément un ordre. Qui l’a donné ? Mystère.
Par ailleurs, l’on se pose forcément deux questions. Pourquoi des photos précises du camp français de Bouaké détruit par les Sukhoï n’ont-elles jamais été diffusées de manière significative, y compris pour flatter la fibre patriotique des Français et les pousser à la révolte contre Gbagbo ? Pourquoi tout a été fait pour empêcher une autopsie des militaires français tués, comme si elles allaient contredire la version officielle sur la façon dont ils sont morts ? Poser cette question n’est pas mettre en doute le fait que des roquettes aient atterri sur la base-vie française, mais c’est s’interroger sur la probabilité d’une mise en scène plus subtile et plus vicieuse que les simples apparences… Si la France a menti sur Gbagbo en 2004...
L’avancée de la vérité sur les événements de novembre 2004 et la participation de l’appareil d’Etat à ce qui apparaît de plus en plus comme une sombre machination ne saurait aller sans quelques conséquences politiques pour les observateurs honnêtes. Si l’appareil d’Etat français a été aussi loin dans le mensonge et la mise en scène macabre pour en finir avec Gbagbo en 2004, on doit forcément remettre en question toute son attitude en Côte d’Ivoire y compris après l’élection présidentielle de 2010, surtout quand on sait que c’est bel et bien la France qui a convaincu avec force manoeuvres le reste de la communauté internationale de la «victoire électorale» de Ouattara puis instrumentalisé une résolution onusienne pour «finir» le travail qui avait été commencé en 2004.
Théophile Kouamouo
Nouveau Courrier
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